Dialogue Ségolène Royal / François Bayrou (Partie 1)

Publié le par Nicolas Gatineau


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Olivier MAZEROLLE


Bonjour. Nous vous retrouvons pour ce débat Ségolène ROYAL-François BAYROUqui a donc lieu. Vous l’avez souhaité, madame ROYAL, et vous l’avez accepté, monsieur BAYROU. C’est une situation inédite dans l’histoire de la 5e République car jamais jusqu’à présent dans une élection présidentielle le second du premier tour n’avait débattu avec le troisième de ce premier tour. Mais nous avons organisé ce débat tout simplement parce qu’à vous deux vous représentez plus de 16 millions d’électeurs et il nous paraît utile qu’ils soient informés. Informés pour vos électeurs, madame ROYAL et plus largement pour tous ceux qui ont voté au premier tour de ce que vous êtes prête à faire par rapport aux idées du centre, et informer, monsieur BAYROU, pour vos électeurs, qu’ils sachent sur quoi vous êtes en accord avec madame ROYAL et sur quoi vous êtes en désaccord et quelles conclusions vous en tirez.

Jean-Jacques BOURDIN

Ce débat est organisé et diffusé selon les règles du CSA, je crois qu’il est bon de le rappeler. Nous l’avons interrogé, il nous a précisé que ce débat relevait de la pleine responsabilité éditoriale des chaînes de télévision et de radios qui l’organisent, si une compensation en temps de parole au profit du candidat Nicolas SARKOZY est nécessaire, elle n’implique pas automatiquement l’organisation d’un autre débat, les modalités de rééquilibrage relèvent de l’appréciation du groupe qui diffuse, précise le CSA. Et donc, par souci d’équité et par respect de la loi, nous avons offert un temps de parole égal au candidat Nicolas SARKOZY. Ce débat va durer 80 minutes, il est organisé par RMC et BFM TV. Le journal Le Parisien Aujourd’hui en France, représenté par Dominique de MONTVALLON est notre partenaire. Quatre grands thèmes vont être abordés au cours de ce débat : les institutions, la vie démocratique, l’impartialité de l’État, les libertés publiques. Ensuite la relance de l’Europe. Puis l’économie, l’emploi et le social. Enfin, la vie quotidienne, l’éducation et l’environnement. Et nous commençons Olivier ?

Olivier MAZEROLLE

Madame ROYAL, quels sont vos objectifs à travers ce débat ?

Ségolène ROYAL

Merci d’abord de l’avoir organisé, merci à François BAYROU de l’avoir accepté. Comme vous venez de le préciser je crois que c’est un événement en effet sans précédent. Sans précédent qui donc souligne la modernisation de la vie politique et ce besoin de sortir de l’affrontement bloc contre bloc. Et c’est la raison pour laquelle, si vous le permettez, plutôt que de parler de débat, je préfère dire dialogue. C’est un dialogue aujourd’hui qui se déroule et, comme je l’ai souhaité et comme François BAYROU l’a accepté, qui se déroule en toute clarté, devant toutes celles et tous ceux qui veulent y assister. Pourquoi est-ce que ce dialogue est important aujourd’hui ? Peut-être parce que demain les Français vont me confier la responsabilité de redresser la France, que la France est dans une situation très difficile et que l’on a bien observé que désormais l’affrontement bloc contre bloc, 50 contre 50, ça ne marche pas pour régler un certain nombre de problèmes, et c’est la France qui perd si on reste bloqué dans ce système. Donc j’ai bien regardé le résultat de ces élections, j’ai bien vu un certain nombre de messages qui sont allés dans ce sens et il m’a semblé du coup très important, dans l’intérêt de la France, que nous puissions voir sur quels thèmes nous pouvons faire un bout de chemin ensemble. Nous ne sommes pas d’accord sur tout et donc, déjà précisons d’abord ce que je n’attends pas de ce dialogue : c’est un ralliement à la fin de ce dialogue, c’est un espèce de coup de théâtre. Je n’attends pas cela car ce n’est pas ce qu’attendent les électeurs qui vont s’exprimer en toute liberté. Et je respecte cette liberté. En revanche, comme je crois que des millions de Français pensent que sur certains sujets difficiles nous pouvons faire émerger un certain nombre de cohérences, de convergences sur les thèmes que vous avez évoqués, qui vont permettre à la France de bouger et de se redresser, il est très important, sans forcément entrer immédiatement dans le détail des choses, de voir sur quels thèmes, en effet, un plus large rassemblement qu’au-delà d’un camp peut se faire. Ensuite on fait un bout de chemin ensemble, on voit comment on fait ce bout de chemin ensemble. C’est-à-dire on discute aussi sur la façon de faire ce bout de chemin ensemble. Il y a un certain nombre de désaccords, et cela on l’attend, pour voir comment ensuite d’autres choses peuvent évoluer. Mais sur les éléments très importants, et en particulier la réforme des institutions, parce que c’est bien cette réforme des institutions qui va débloquer le système politique qui va nous permettre de sortir sur certains sujets essentiels pour la France de l’affrontement bloc contre bloc, nous pouvons en effet avoir un dialogue, qui ne va pas s’achever là à la fin de cette séance, qui pourra éventuellement se poursuivre ensuite. Tel est l’objectif de ce dialogue très tranquille que, une fois de plus, je vous remercie d’avoir organisé.

Jean-Jacques BOURDIN

François BAYROU, pourquoi avez-vous voulu ce débat, cette discussion si vous préférez ?

François BAYROU

Je l’ai voulu parce que rien n’est plus nécessaire, dans la vie politique française, que de faire bouger les lignes et d’adopter des attitudes qui soient moins coincées, moins antagonistes, moins conflictuelles que celles qu’on a depuis si longtemps et qui bloquent le pays dans son évolution. C’est le message que j’ai porté tout au long de cette campagne électorale, avec cette idée qu’il faudra bien faire des unions plus larges que celles que nous avons eues jusqu’à maintenant. Je veux rappeler que j’ai dit à Nicolas SARKOZY que s’il souhaitait un dialogue du même ordre, j’étais naturellement prêt à y… participer, à l’accepter, à l’avoir avec lui. Ce qui est incroyable, c’est que ce débat ait suscité tant et tant de… d’éruptions, de cris d’orfraies, comme s’il y avait quelque chose d’anormal ou de scandaleux à ce que des candidats, les uns sélectionnés pour le deuxième tour, les autres qui ont participé au premier tour et qui ont recueilli un très grand nombre de suffrages, essaient de voir ensemble, en discutant, où est l’intérêt du pays. De ce débat il ne sortira pas de ralliement. Je ne vais pas me rallier à Ségolène ROYAL et Ségolène ROYAL je présume, ne va pas se rallier au centre. C’est pas ça le sujet. Le sujet c’est que nous puissions ensemble dire : voilà, là nous avons identifié un point très important pour le pays et nous sommes tous, tous mis en demeure, Ségolène ROYAL, Nicolas SARKOZY et moi, comme représentants des trois forces qui désormais structurent la vie politique française, le Parti socialiste, l’UMP et le centre qui est apparu dans cette élection. On est tous les trois de la même génération, on est tous les trois en situation de responsabilités. Nous avons le devoir de faire bouger les choses. Ma conviction profonde est qu’il y a des sujets sur lesquels, bloc contre bloc ou parti contre parti, nous ne réussirons pas à les faire avancer. Je veux simplement citer les banlieues, c’est un sujet qui est un souci pour la France pour peut-être dix ans. Et je trouve que sur des sujets comme ça on devrait être capable de discuter ensemble et de faire bouger les choses. Donc rien de plus simple que de voir des dialogues ou des débats ou des confrontations, comme on voudra, s’organiser pour savoir où nous voyons des points d’accord larges et où nous voyons des points de différence ou de divergence.

Jean-Jacques BOURDIN

Bien, nous allons aborder la première partie de ce débat : la vie politique, les institutions, les libertés publiques. Et vous savez, j’aime bien les questions directes, alors j’ai deux questions très directes à l’une et à l’autre à poser. Je vais commencer avec Ségolène ROYAL. Ségolène ROYAL, est-ce que vous souhaitez franchement ce débat pour récupérer les voix qui se sont portées sur François BAYROU ?

Ségolène ROYAL

Non, ça n’est pas ma démarche. D’ailleurs j’ai une petite nuance avec ce que vient de dire François BAYROU, je crois qu’aujourd’hui nous ne parlons pas au nom des partis politiques. Ça n’est plus une question de partis politiques, ce deuxième tour de l’élection présidentielle. Je suis aujourd’hui en dialogue direct avec les Français, j’ai le souci d’être prête, s’ils me confient la responsabilité de la présidence de la République, et donc je dépasse aujourd’hui les partis politiques, il n’y a pas entre nous de tractations de couloirs, puisque ça se fait en toute transparence entre organisations politiques. Ce que je veux, c’est faire émerger, je l’ai dit tout à l’heure, des convergences d’idées, et en particulier sur le message essentiel que j’ai entendu, sur celui de la rénovation de la vie politique. Et je partage ce point de vue de la rénovation de la vie politique. Je mets d’ailleurs au premier rang du pacte présidentiel la démocratie participative, c’est-à-dire que je pense qu’aujourd’hui les responsables politiques ne savent pas tout, que les citoyens sont des experts de ce qui les concerne, et que nous devons inventer des façons de faire qui les associent régulièrement aux décisions de responsables politiques, à la façon d’évaluer les politiques publiques qui sont mises en place et nous devons redonner un souffle démocratique au Parlement. Il y aura donc une réforme de fond du fonctionnement du Parlement. Je veux une nouvelle République, une 6e République, avec un Parlement dans lequel il n’y aura plus de cumul des mandats, la suppression du 49.3, c’est-à-dire la suppression des mécanismes de blocage par l’exécutif, un Parlement qui contrôle réellement l’exécutif, qui contrôle l’application des lois, plus une seule loi ne sera possible si la loi précédente n’est pas appliquée avec les décrets d’application qui vont avec. Je veux une démocratie participative nouvelle, qui vient donner là aussi un souffle nouveau au fonctionnement des institutions, comme le référendum d’initiative populaire, comme les jurys citoyens. Je veux une démocratie sociale totalement renouvelée, avec notamment un syndicalisme de masse qui va permettre aux partenaires sociaux de discuter avant toute nouvelle loi concernant la réforme du code du travail. Et enfin je veux, dans cette réforme des institutions, une nouvelle étape de la régionalisation parce que je pense que pour lutter contre les gaspillages il faut à la fois que l’État soit fort, mais en même temps que les collectivités locales assument leurs responsabilités sans doublons ou sans superpositions, c’est-à-dire que chacun soit bien au clair sur ce qu’il a à faire. Voilà le schéma de la réforme profonde des institutions et je souhaite que ce schéma soit soumis par référendum au peuple français pour qu’il puisse donner son avis sur cette nouvelle République.

Jean-Jacques BOURDIN

Nous allons décliner effectivement tous ces thèmes, mais j’ai une autre question maintenant assez directe à poser à François BAYROU…

François BAYROU

S’il vous plaît, je vais tout de même répondre parce que c’est quand même des sujets très importants. Qu’est-ce que nous avons à bâtir en France ? Nous avons à bâtir quelque chose qui n’existe plus depuis des décennies et qui s’appelle le pluralisme. Dans toutes les démocraties du monde, vous avez une représentation au Parlement de grands courants d’opinion qui permettent de faire entendre aux gouvernants la voix du peuple. Le problème c’est qu’en France, depuis des décennies, tous les pouvoirs sont chaque fois entre les mains d’un seul parti, le parti dominant. Que ce soit le Parti socialiste d’un côté, l’UMP de l’autre. Ceci est une mauvaise chose. Pas pour les minoritaires seulement, mais c’est une mauvaise chose pour la France. Si le Parti socialiste n’avait pas eu tous les pouvoirs comme il l’a eu, les 35 heures se seraient organisées de manière différente. Si l’UMP n’avait pas eu tous les pouvoirs comme ils l’ont eu, le CPE n’aurait pas été le clash que l’on sait. On a besoin de bâtir le pluralisme en France. Pour bâtir le pluralisme, qu’est-ce qu’il fait ? Il faut un Parlement qui fasse son travail, c’est-à-dire qui récupère des droits qu’il n’a plus, qui au passage oblige les parlementaires à faire vraiment leur travail, c’est-à-dire à être présents à l’Assemblée nationale. J’ai proposé pendant cette campagne qu’on ne puisse plus voter si on n’est pas là. C’est des choses très simples, qui existent dans beaucoup d’autres pays…

Jean-Jacques BOURDIN

Vous êtes d’accord, Ségolène ROYAL, sur cette proposition ?

Ségolène ROYAL

Absolument.

François BAYROU

Et je demande qu’on change la manière dont le Parlement est élu, c’est-à-dire que chaque grand courant du pays puisse avoir une représentation par une loi électorale plus juste, proportionnelle, j’ai proposé 50 % des sièges, de manière qu’on soit obligé de s’entendre et pas que les uns soient toujours pour et les autres toujours contre. Et quand je parle de forces politiques, je suis très heureux d’avoir fait apparaître au moins un courant politique avec 7 millions de Français, c’est pour qu’il y ait à l’Assemblée nationale un courant indépendant qui soit pas toujours pour ou toujours contre et qui puisse être en effet libre d’examiner les projets que les uns ou les autres proposeront et défendront. Pluralisme et équilibre. Au lieu d’avoir tous les pouvoirs entre les mêmes mains, la concentration des pouvoirs et cette espèce de surdité dans laquelle, en France, les gouvernants sont constamment plongés. Parce que personne n’est là pour leur faire entendre une autre voix que la leur.

Jean-Jacques BOURDIN

Alors compte tenu de ces convergences, franchement, François BAYROU, est-ce que vous souhaitez la victoire de Ségolène ROYAL le 6 mai ?

François BAYROU

Je n’ai aucune intention d’entrer dans ce genre de jeu. Si j’étais ici pour me rallier à Ségolène ROYAL, à l’instant même je briserais cet élan que j’ai essayé de créer, et qui s’est créé en France et qui fait que nous sommes autour de cette table-là. Je ne veux pas me trouver en situation, après avoir créé, ou être en train de créer un grand courant indépendant, que ce courant tout d’un coup se brise simplement parce qu’il aurait fallu, au terme d’un débat de cet ordre, chercher des ralliements artificiels. Je ne le ferai pas. Je suis là pour faire entendre des idées et sentir une indépendance. Et je ne renoncerai ni aux idées ni à cette indépendance. Mais je dis qu’en matière institutionnelle en tout cas, en effet des propositions sont émises qui peuvent montrer qu’il y a en France une majorité possible pour que ces institutions…

Jean-Jacques BOURDIN

Donc vous ne direz pas pour qui vous voterez le 6 mai ?

François BAYROU

J’ai dit que je ne donnerai pas de consigne de vote le 6 mai.

Jean-Jacques BOURDIN

Bien. On va entrer…

Ségolène ROYAL

Si vous le permettez, je ne demande pas, je l’ai dit tout à l’heure, à François BAYROU de dire aujourd’hui, de me soutenir ou de se prononcer pour un quelconque ralliement. Ce n’est pas ça qu’attendent les électeurs. Je suis venue ici sur un dialogue sur le pacte présidentiel que je propose, pour essayer de faire avancer et de mettre en valeur un certain nombre de convergences, un certain nombre de divergences et pour savoir comment on peut avancer sur ce qui nous rassemble et on attendra ou on continuera à travailler au cours de la législature sur ce qui nous différencie aujourd’hui. Sur la question du pluralisme avancée, il y a dans les réformes institutionnelles que je propose des réponses à cette nécessité du pluralisme. Je suis d’accord lorsque François BAYROU dit qu’il n’est plus possible qu’un seul parti politique contrôle la totalité des institutions d’un pays. Et c’est pourquoi je propose une dose de proportionnelle, c’est-à-dire qu’il y aura une modification du mode de scrutin, mais surtout l’ensemble des institutions dont l’indépendance doit être garantie seront réformées. C’est ainsi que le Conseil constitutionnel, le Conseil supérieur de la magistrature, le Conseil supérieur de l’audiovisuel et toutes les instances qui ne doivent plus dépendre d’un seul parti seront désormais réformées et le Parlement aura son mot à dire, à une majorité des trois-cinquièmes, c’est-à-dire que l’opposition aussi aura un rôle à jouer dans la détermination et dans la définition et dans la composition de ces organismes.

Jean-Jacques BOURDIN

Juste une précision : Parlement ou Assemblée nationale ?

Ségolène ROYAL

l’Assemblée nationale tant que le Parlement ne sera pas modifié et rénové, puisque dans la réforme des institutions, vous le savez, le Sénat doit être modifié, il n’aura plus le pouvoir de blocage, le mode de scrutin de désignation des sénateurs sera changé pour que l’alternance y soit possible, je crois que c’est quand même l’honneur d’une grande démocratie de permettre l’alternance au Sénat, et donc en effet cette modification aura lieu et à ce moment-là c’est la totalité du Parlement, Assemblée nationale et Sénat qui pourront être associés à la définition et aux nominations des membres des institutions dont l’indépendance doit absolument être garantie. J’ajoute également que le président de la Commission des finances sera un membre de l’opposition. Je dis aussi que la présidente de la République ne sera plus présidente du Conseil supérieur de la magistrature parce que je veux l’indépendance de la justice. Et enfin en ce qui concerne les deux exemples que vient de citer François BAYROU, sur la question des 35 heures, la deuxième loi sur les 35 heures, ce dispositif ne pourra plus exister dans le fonctionnement futur de nos institutions puisque désormais toute modification du code du travail se fera en étant précédé d’un dialogue entre les partenaires sociaux. Ces partenaires sociaux que j’ai déjà d’ailleurs tous rencontrés, l’ensemble des organisations syndicales des salariés, l’ensemble des organisations représentatives du patronat et je pense en effet que nous allons pouvoir faire rentrer la France dans une modernité démocratique et sociale puisque désormais je fais confiance aux partenaires sociaux, l’État sera garant du bon déroulement de ces négociations et la loi viendra ensuite consolider ces accords entre partenaires sociaux ou étendre à l’ensemble du pays les accords entre partenaires sociaux dont le seul objectif sera de concilier la compétitivité économique et le progrès social. Moi je veux réconcilier l’efficacité économique et le progrès des salariés, c’est-à-dire en ce qui concerne le contrat de travail à durée indéterminée, le niveau des salaires, car je pense que ce sont des salariés bien sécurisés et bien stabilisés qui font l’efficacité économique et pas l’inverse. Ça n’est pas par la précarité que l’on défend la compétitivité économique. Sur le deuxième exemple concernant le CPE qu’évoquait François BAYROU, le CPE, vous le savez, a été voté par le 49.3. Dans la réforme des institutions que je propose, il n’y aura plus de 49.3. Ça veut dire que le Parlement aura le droit de débattre, et de débattre jusqu’au bout. Et comme il y aura la démocratie participative en amont, il est évident que si les consultations et l’écoute des principaux intéressés avaient précédé cette réforme législative, un gouvernement quel qu’il soit aurait vu qu’il s’engageait dans une impasse. Parce que c’est détruire la valeur travail que de dire à des jeunes : parce que vous êtes jeune vous pourrez être licenciés sans aucune raison ou sans aucune motivation.

Jean-Jacques BOURDIN

François BAYROU, sur ce que vient de dire Ségolène ROYAL ?

François BAYROU

C’est très simple. La 5e République a été construite autour de l’idée que plus on avait de pouvoir entre les mains de celui qui est au sommet, mieux c’était. Or ça ne marche plus comme ça au 21e siècle. Ça n’a pas d’ailleurs marché très bien même à la fin du 20e siècle. Et donc il faut à tout prix faire rentrer la France dans une période de modernisation qui fera que les gouvernants auront des pouvoirs légitimes mais qu’en face d’eux il y aura du contre-pouvoir. De manière que la voix du peuple puisse se faire entendre. Et donc partout où il y a monopole il faut mettre le pluralisme, partout où il y a dépendance, il faut mettre l’indépendance. Et faire qu’en France on puisse discuter, on puisse avancer des objections, on puisse faire entendre qu’on n’est pas d’accord avec ce que le pouvoir dit sans qu’aussitôt ce soit un crime de lèse-majesté, qu’on ait l’impression qu’on trahit son camp, comme on dit entre guillemets de manière tellement scandaleuse et régulière en France. Il faut qu’on comprenne que la différence des opinions et le débat entre ces opinions est une chance pour notre pays. Vous savez pourquoi ? Parce que quelqu’un au sommet tout seul ne peut pas, contrairement à ce qu’il croit ou à ce qu’il s’imagine, quelqu’un au sommet tout seul ne peut pas se rendre compte de la diversité, de la richesse d’un pays dans lequel il y a partout des entreprises, partout des inventeurs, partout des créateurs, partout des gens qui ont l’idée de quelque chose de nouveau, qui sont constamment freinés par un État dirigé par un pouvoir politique seul. Il faut faire respirer la France, il faut mettre de l’oxygène dans tout ça. Ça suffit le pouvoir concentré entre les mêmes mains, et ceci quel que soit le vainqueur du 6 mai. Ceci est une nécessité.

Jean-Jacques BOURDIN

Vous êtes donc favorable à une loi interdisant aux grands groupes privés qui vivent des commandes de l’État de posséder des médias ?

François BAYROU

Je suis absolument opposé, je parlais du verrouillage politique, là, je suis absolument opposé au verrouillage médiatique. C’est pas un secret que ce débat a été difficile à organiser, c’est pas un secret pour vous, vous le savez très bien puisque vous avez eu le courage de le faire. Ce débat a été difficile à organiser comme si quelqu’un pouvait, dans une démocratie, interdire à des gens de parler ensemble au vu et au su de tout le monde. Je suis persuadé que ceux qui pratiquent ce genre de choses se trompent pour eux-mêmes. Pas seulement pour nous, pas seulement pour les citoyens, ils se trompent pour eux-mêmes, ils s’enferment dans un système dont ils ne sortiront pas. Et les coups de téléphone multiples et variés, en disant « écoutez vous avez tort, vous devriez pas », se trompent. Un pays qui avance, c’est un pays qui accepte d’ouvrir les fenêtres. Qu’est-ce que ça peut faire ? À qui cela peut-il nuire que comme candidate à l’élection présidentielle du deuxième tour ou candidat au premier tour, nous discutions ensemble du pays ? Quel est le crime de lèse-majesté ? J’ai vu qu’il y avait des gens à gauche qui n’étaient pas satisfaits, je sais très bien, parce que je reçois des messages, qu’il y a des gens à droite qui craignaient que cela ne… Mais il n’y a rien de plus simple que de parler en France. C’est parce qu’on n’a pas parlé en France qu’on en est où on en est. Et qu’on découvre à chaque élection la réalité profonde du pays. Je suis pour ouvrir les fenêtres.

Jean-Jacques BOURDIN

Bien, vous avez un tout petit peu de retard, François BAYROU, cinquante secondes. Il nous reste sur cette première partie trois minutes. Je vais vous poser deux ou trois questions, je vous demanderai des réponses rapides. D’abord est-ce que vous êtes d’accord avec ce que vient de dire François BAYROU concernant les grands groupes privés qui vivent des commandes de l’État et qui possèdent des médias. Vous êtes d’accord, une loi ?

Ségolène ROYAL

Oui, c’est d’ailleurs dans le pacte présidentiel que je propose, bien sûr, il faut des mesures anti-concentration…

Ruth ELKRIEF

François BAYROU n’est pas tout à fait d’accord.

François BAYROU

Non mais j’ai dû mal lire le pacte présidentiel, on doit en être à la deuxième écriture, donc…

Ségolène ROYAL

Non non, il y a des mesures anti-concentration… Mais la presse est concentrée parce que justement elle est liée à un certain nombre de groupes financiers, de groupes industriels, donc il y a une incompatibilité, il y a des collusions d’intérêts qui ne sont pas saines dans une démocratie. Donc en effet ce qui est prévu, c’est peut-être moins précis que ce que vous avez dit, c’est vrai, mais le Parlement en débattra et des décisions seront prises dans ce sens. Je crois que la liberté d’expression, le pluralisme des opinions doit absolument être garanti et déconnecté des puissances de l’argent.

François BAYROU

On a besoin, puisque j’ai quelques secondes de retard, on a besoin de médias libres dans un pays libre. Personne ne devrait pouvoir intervenir sur les médias, comme ça se fait vous le savez tous les jours, en faisant craindre quelque chose aux journalistes, en faisant craindre quelque chose aux groupes en question. Et cette manière qu’ont les uns et les autres d’être liés par des réseaux…

Jean-Jacques BOURDIN

Je vous rassure, nous ne craignons personne, François BAYROU.

François BAYROU

Oui mais vous avez reçu quelques coups de fil…

Jean-Jacques BOURDIN

Non, non, vous savez ici on vit en toute liberté.

François BAYROU

Regardez-moi, Jean-Jacques BOURDIN, dans les yeux…

Jean-Jacques BOURDIN

On vit en toute liberté, François BAYROU.

François BAYROU

Regardez-moi dans les yeux !

Jean-Jacques BOURDIN

Je vous regarde, François BAYROU, je vous regarde.

François BAYROU

Regardez-moi dans les yeux. Voilà.

Jean-Jacques BOURDIN

Oui, nous avons eu quelques tentatives peut-être… Nous résistons d’où qu’elles viennent. Ça peut venir de tous les côtés, François BAYROU, vous le savez bien.

François BAYROU

Vous pouvez répéter la phrase : « Nous avons eu quelques tentatives de pression ». Point. Je vais pas me lancer dans une diatribe sur ce sujet, c’est la pratique quotidienne en France. Eh bien il faut que cela cesse. Et ça doit cesser par la loi.

Olivier MAZEROLLE

Juste pour ce qui nous concerne, nous n’avons reçu aucun coup de fil, je vous l’affirme.

Ruth ELKRIEF

La preuve, c’est que ce débat se déroule.

Jean-Jacques BOURDIN

Excusez-moi tous les deux, j’ai une question directe qui agite vraiment les auditeurs et les téléspectateurs. Est-ce que vous revenez sur la durée d’indemnité touchée par les députés battus ?

Ségolène ROYAL

Écoutez, je ne sais pas si ce type de question est du niveau du débat de l’élection présidentielle…

Jean-Jacques BOURDIN

Je peux vous dire que ça intéresse les auditeurs et les téléspectateurs.

Ségolène ROYAL

Je pense que cette décision qui a été prise n’est pas opportune. Voilà. Mais je crois qu’il faut faire attention aux questions trop précises, il faut toujours les recadrer dans une cohérence des valeurs. Et c’est vrai qu’à un moment où beaucoup de Français souffrent du chômage, de la précarité, où on me conteste la volonté d’augmenter les bas salaires et les petites retraites, où au même moment les députés décident d’améliorer leur propre système de retraite, je trouve que ça n’est pas heureux. Et d’ailleurs dans la remise à plat du système de retraite, il y aura aussi la remise à plat du système de retraite des parlementaires, avec en contrepartie la définition d’un véritable statut de l’élu, parce que l’élu doit pouvoir aussi être sécurisé dans son travail au moment où il exerce sont mandat.

Jean-Jacques BOURDIN

François BAYROU ?

François BAYROU

Vous savez bien, Jean-Jacques BOURDIN, que je me suis attiré des remontrances parce que j’ai dit que j’étais en désaccord avec cette décision, qui a été prise conjointement par le PS et par l’UMP…

Ségolène ROYAL

Non, je crois que le PS s’est abstenu.

François BAYROU

Non, le PS a dit oui, l’UMP a dit oui, et ça a été décidé dans une réunion de bureau, à partir de bons sentiments, je comprends très bien, c’est le statut de l’élu…

Ségolène ROYAL

Je crois que le PS s’est abstenu. Mais à partir de bons sentiments, oui, parce que certains…

François BAYROU

En tout cas je sais que c’était une décision d’une extraordinaire, comment dirais-je…

Ségolène ROYAL

Maladresse.

François BAYROU

Plus que ça. Symboliquement c’était dur pour les gens. Même si on peut avancer toutes les explications techniques possibles, mais la vérité est que dire aux Français : les députés décident qu’ils auront cinq années d’indemnité chômage, les Français ne peuvent pas le vivre bien. Et les parlementaires, toujours parce que c’est un monde trop fermé, cette question est très étroitement en liaison avec la question : comment on ouvre les fenêtres au Parlement, comment on fait bouger le pays ? C’est un monde trop fermé que celui dans lequel les parlementaires ont l’impression qu’ils peuvent décider sans que personne s’en aperçoive d’une amélioration de leur situation. Et donc je dis que ceci ne peut pas aller, et qu’on doit avoir, de la part du monde politique, l’idée qu’il a aussi un devoir d’exemplarité. Pas seulement à prendre des décisions, il a un devoir d’exemplarité, il est scruté comme ce que voudraient les Français des cours d’éducation civique, autrement dit. Le monde politique devrait mettre en pratique les cours d’éducation civique qu’il donne.

Ségolène ROYAL

Cela dit, je voudrais quand même préciser, pour que les gens ne soient plus totalement choqués à mauvais escient, que cela partait d’un bon sentiment au sens où certaines personnes ont été élues députés et pour ça ont quitté leur travail privé et se sont retrouvés, après avoir été battus, au chômage, et même pour certains parlementaires au RMI. Donc ce qui se passe aujourd’hui c’est que les fonctionnaires qui deviennent élus, lorsqu’ils sont battus redeviennent fonctionnaires, sont protégés. Donc il y a peut-être aussi à revoir cette règle-là. En revanche ceux qui perdent leur travail parce qu’ils sont élus ont eu des difficultés sociales à l’issue et la décision qui a été prise ce n’est pas cinq ans d’indemnité, c’est une indemnité bien sûr dégressive en attendant que l’élu battu retrouve un emploi. Mais cela dit, je pense que la décision n’est pas justifiée, mais ce qui est plus grave que celle-ci c’est que quand j’entends François FILLON mettre en cause les régimes spéciaux de retraite, bien sûr il faudra remettre à plat l’ensemble des dispositifs et que lui-même en tant que parlementaire bénéficie d’un régime spécial de retraite et ne met pas cette question sur la table. Moi je vous dis ici que je mettrai sur la table le régime spécial des élus, sans faire de diatribe anti-élus, c’est-à-dire sans alimenter non plus ce ressentiment anti-élus qui font souvent énormément d’heures de travail, qui sont extrêmement dévoués. Je pense que nous avons des élus, il faut le redire à chaque fois parce qu’il y a un certain populisme à dénoncer le travail des élus…

Jean-Jacques BOURDIN

Les indemnités sont de 20 % au bout de 5 ans.

Ségolène ROYAL

Oui, c’est dégressif, exactement.

Ruth ELKRIEF

Alors on va passer à un autre sujet, bonjour François BAYROU, bonjour Ségolène ROYAL. On a vu sur les institutions, il y a quand même des terrains d’entente qui sont assez clairs et qui se dégagent. Autre sujet qui apparemment, selon vos programmes, pourrait bien vous rapprocher, c’est l’Europe, la relance de l’Europe. Vous êtes tous les deux pour un référendum sur un nouveau traité constitutionnel. Mais, Ségolène ROYAL, vous êtes plutôt pour la réconciliation entre les électeurs du oui et du non au traité constitutionnel et, François BAYROU, vous brandissez un peu le oui en bandoulière. Alors question simple : est-ce que vous êtes finalement aussi euro-compatible qu’on le dit ?

François BAYROU

Euh… ce qui s’est passé, c’est un divorce entre les Français et l’Europe, et je veux la réconciliation entre les Français et l’Europe. Et je travaillerai, dans le rôle qui sera le mien, à l’Assemblée nationale, je travaillerai pour cela. Pourquoi les gens ont-ils voté non ? Il y a un certain nombre d’anti-européens, mais il y a des gens qui ont cru que, parce que le texte était illisible, et il l’était pour qui que ce soit, il y avait sous ce texte un piège, et que ce piège c’était qu’on voulait leur imposer un modèle de société qui n’était pas le leur. Ultralibéral, on va dire. Puis des inquiétudes au sujet de l’adhésion de la Turquie qui a été décidée dans des conditions extrêmement lourdes de conséquences, selon moi. Et donc ils ont voté non pour éviter le piège. Mais je suis persuadé qu’il y a une grande majorité de Français qui savent qu’il n’y a aucun avenir pour notre pays sans avoir une entente des pays européens dans une Union Européenne capable de parler fort dans le monde. Et aucune des questions, sécurité, défense, politique étrangère, environnement – le climat, tiens, j’imagine que nous en parlerons – aucune de ces questions-là ne peut se résoudre si l’Europe n’est pas forte et en bonne santé. On a donc besoin de faire une Europe forte et en bonne santé. Pour qu’elle soit forte et en bonne santé, il faut que les citoyens français puissent la soutenir. Et c’est pourquoi je suis en effet, quand on aura un texte court, lisible, compréhensible par tout le monde, pour le soumettre au référendum des Français, ce qui est je crois aussi votre idée.

Ruth ELKRIEF

C’est aussi un texte court, lisible et qui peut correspondre à celui que décrit François BAYROU, Ségolène ROYAL ?

Ségolène ROYAL

C’est un texte utile à l’Europe. Je crois que c’est ça qui compte. Et qui prend en compte les raisons pour lesquelles un certain nombre de Français, une majorité de Français, ont dit non au projet de traité qui leur était proposé. Quand on regarde de près les raisons pour lesquelles ce non l’a emporté, on voit qu’il vient d’abord de catégories populaires, et des jeunes. Donc c’est une question à regarder de près en effet. Pourquoi ? Parce que l’Europe est apparue comme un espace insuffisamment protecteur par rapport à l’emploi, et donc il faut reconstruire une Europe qui réussisse à lutter contre le chômage, à ce moment-là les Français reprendront confiance en l’Europe, il faut une Europe qui réussisse à lutter contre les délocalisations, à ce moment-là les Français reprendront confiance dans l’Europe. Or aujourd’hui nous assistons encore à une avalanche de délocalisations, non seulement au sein de l’Europe, mais à l’extérieur de l’Europe et donc les Français ont peur par rapport à ces pertes d’emplois et moi je pense en effet que l’Europe a les moyens de défendre ses emplois, de redéfinir des politiques industrielles, des politiques énergétiques, des politiques de recherche, des politiques de croissance et donc c’est d’abord par l’Europe par la preuve que nous pourrons, en 2009, puisque mon objectif c’est que, au moment de l’élection au Parlement Européen, pouvoir re-soumettre le même jour aux Français un nouveau traité…

Ruth ELKRIEF

Mais est-ce qu’on peut être les seuls à proposer un nouveau traité dans notre coin ?

Ségolène ROYAL

Mais ça va être discuté. Moi j’en ai discuté avec Romano PRODI, avec Jose-Luis ZAPATERO, avec Angela MERKEL. C’est vrai qu’aujourd’hui il y a encore du travail à faire, des rapprochements, mais je vois que les choses bougent puisqu’il y a eu aussi une annexe sociale qui a été travaillée avec Jacques DELORS et Paul RASMUSSEN et qu’aujourd’hui chacun sent bien que l’Europe doit d’abord défendre les valeurs humaines, c’est-à-dire faire en sorte que l’Europe se construise, non pas pour être tirée vers le bas et être alignée vers les pays à bas salaires ou à faible protection sociale, mais au contraire à mettre ensemble nos forces pour tirer collectivement les travailleurs vers le haut en terme de niveau de revenus et par exemple l’idée qu’il existe un salaire minimum au niveau de l’Europe est une idée qui fait son chemin et qui est inscrite dans ce protocole social…

Ruth ELKRIEF

Vous n’êtes pas d’accord, François BAYROU…

Ségolène ROYAL

… et qu’il va falloir avancer sur ces questions, mais en amont réaliser ensemble un certain nombre d’actions. Moi je souhaite par exemple la réforme du statut de la Banque Centrale Européenne parce que je veux que l’Europe s’occupe aussi de croissance et d’emploi, et c’est en reconstruisant cette confiance sur des projets concrets que les Français pourront ensuite dire oui.

Ruth ELKRIEF

François BAYROU, l’aspect social et puis la Banque Centrale Européenne, tout ça c’est un peu différent.

François BAYROU

Je suis en désaccord sur les deux points. Je suis en désaccord parce que quand on parle de salaire minimum pour l’Europe, qu’est-ce que ça veut dire ? Si vous mettez le salaire minimum au niveau de la France, vous tuez l’ensemble des pays de l’Est européen qui ont un si bas niveau de vie qu’un salaire minimum comme ça les empêcherait de créer des emplois. Si vous mettez le salaire minimum au niveau de ces pays de l’Est, alors c’est la France qui se trouve complètement déséquilibrée. C’est une idée qui avait été avancée pendant la campagne du référendum européen par un certain nombre de tenants du non, je trouve que c’est une idée pas sérieuse, que c’est une idée qui ne résiste pas à l’examen une seconde. Quant à la Banque Centrale Européenne, alors là c’est un point d’accord entre Ségolène ROYAL et Nicolas SARKOZY qui tous les deux ont pourfendu ensemble la Banque Centrale Européenne. Je pense qu’ils se trompent tous les deux. Parce que l’idée selon laquelle il faudrait un euro plus faible a deux conséquences immédiates. C’est vrai que ce serait un avantage pour l’aéronautique. Je suis l’élu d’une circonscription dans laquelle on fabrique deux sur trois des moteurs d’hélicoptères qui volent dans le monde, j’ai donc une petite idée de la manière dont ça se passe. Le niveau du dollar, en effet, en aéronautique en particulier, parce que les concurrents sont dans la zone dollar, rend cette question problématique. Mais je veux rappeler trois choses. Un, l’Allemagne avec la même monnaie est en train d’exploser tous les chiffres de son commerce extérieur. Elle est en train de devenir recordman du monde, l’Allemagne, avec la même monnaie que la nôtre. Le secret ne doit donc pas être dans la monnaie. Deuxièmement, il y a deux conséquences si vous avez un euro faible. Premièrement, la hausse des prix repart à la hausse. Et si on trouve qu’il n’y a pas assez de hausse des prix en France, là on est singulièrement imprudent. Et troisièmement, plus l’euro est faible, plus les taux d’intérêt sont hauts. Donc vous ne pouvez plus ni consommer ni investir. Et donc vous affaiblissez l’économie française. Et sur ce point, en effet, Nicolas SARKOZY et Ségolène ROYAL sont en accord profond et moi je suis en désaccord…

Ruth ELKRIEF

Réponse de Ségolène ROYAL, peut-être…

François BAYROU

Donc au deuxième tour, le débat qu’ils vont avoir mercredi soir, ils pourront sur ce point célébrer leur entente.

Ruth ELKRIEF

Avant qu’on parle très rapidement de la Turquie, votre réaction ?

Ségolène ROYAL

D’abord sur le salaire minimum, je crois que c’est un objectif indispensable. Sinon les délocalisations continueront en éjectant nos emplois vers les pays à bas salaires…

François BAYROU

À quel niveau le mettez-vous ?... À quel niveau imaginez-vous que vous puissiez le mettre ?

Ségolène ROYAL

C’est d’abord un principe à affirmer dans chacun des pays…

François BAYROU

Mais à peu près ?

Ségolène ROYAL

Il est trop tôt, là, pour mettre le niveau. Là aussi on est dans des stratégies politiques de convergence. Et l’idée même que tous les pays européens puisse se rallier à l’idée que dans chacun des pays il y a un salaire minimum et qu’ensuite on organise en fonction du niveau de développement économique des pays la convergence vers un même salaire minimum le plus rapidement possible dans l’ensemble des pays, cela voudra dire que nous aurons réussi au sein de l’Union Européenne à aligner vers le haut la qualité de vie, le pouvoir d’achat et le respect dû aux salariés. C’est un objectif, c’est un idéal européen majeur. Pourquoi ? Parce que sinon en effet les délocalisations vont continuer au sein même de l’Europe. Et c’est ça qui est insupportable pour les salariés français. Aujourd’hui, tenez-vous bien, aujourd’hui une entreprise qui quitte la France et qui va dans un pays situé le plus à l’Est de l’Europe, reçoit de l’Europe des fonds européens. Ceci doit cesser. On ne peut pas accepter, au sein même de l’Europe, des délocalisations pour aller vers les pays à bas salaires. Et donc l’idée même qu’il puisse y avoir, d’abord l’idée fondamentale que chaque pays doit définir un salaire minimum, c’est une question de protection sociale des salariés et j’espère que la Confédération européenne des syndicats de salariés qui a commencé à discuter sur ces questions-là sera encouragée à continuer sur ces discussions, mais il y en a bien d’autres. Il y a la question de la protection de la santé, il y a la question de l’accès à un certain niveau de retraite, il y a tous l’éventail des droits sociaux qui doit progressivement constituer le nouveau modèle social européen. Je suis d’accord avec vous, ça ne va pas se faire du jour au lendemain. Mais l’idée même que politiquement on affirme qu’au sein de l’Europe l’objectif de l’Europe c’est l’amélioration de la situation et du pouvoir d’achat des salariés, ça me semble absolument essentiel. Quant à l’euro, mon objectif n’est certainement pas de faire un euro faible, mais quand même, ça n’est pas incompatible d’avoir un euro fort plus un objectif de croissance et un objectif de lutte contre le chômage. C’est ce que fait la banque américaine, qui est en dialogue permanent avec les gouvernements américains. Pourquoi aujourd’hui ne pas imaginer, et c’est l’objectif de la réforme de la Banque Centrale Européenne, qu’il y ait trois objectifs : le maintien de la valeur de l’euro, la lutte contre le chômage, et la croissance, en dialogue permanent avec le gouvernement économique de l’Union Européenne qui doit affirmer davantage ses objectifs politiques et ses objectifs économiques, et ça n’est certainement pas à la Banque Européenne toute seule de prendre un certain nombre de décisions. Donc ça aussi c’est un constat de la faiblesse de la volonté politique de l’Europe par rapport à la banque centrale qui n’est qu’un outil au service de la construction européenne… Car quand même, l’écart de valeurs entre le dollar et l’Europe…

Ruth ELKRIEF

François BAYROU s’inquiète !

François BAYROU

Je vous invite à regarder le chronomètre du coin de l’œil.

Ruth ELKRIEF

Bien sûr, bien sûr.

Ruth ELKRIEF

Moi j’ai pas de problème de chronomètre, François BAYROU peut parler plus que moi, ça ne me gêne absolument pas.

François BAYROU

Pour l’instant c’est pas tout à fait le cas, mais…

Ségolène ROYAL

Mais le prix de l’AIRBUS, compte tenu du taux de change entre l’euro et le dollar, a augmenté de 30 %. Voilà, tout est dit lorsqu’on dit cela par rapport à la gestion en effet des objectifs de la Banque Centrale Européenne.

Ruth ELKRIEF

Merci Ségolène ROYAL, réponse, François BAYROU, et également sur l’adhésion à la Turquie, et pour finir, très rapidement, ce chapitre européen ?

François BAYROU

Il y aurait beaucoup à dire sur toutes ces affirmations. La première, c’est que moi je ne suis pas pour qu’on présente les pays de l’Est européen comme des ennemis de l’intérieur. Je ne suis pas pour qu’on montre du doigt toute installation d’entreprise. J’ai vécu aux premières loges ce que c’est que d’avoir à côté de soi, c’était l’Espagne et le Portugal, des pays en retard de développement et puis qui tout d’un coup ont rattrapé leur retard de développement parce qu’en effet ils avaient des conditions qui attiraient l’activité chez eux. Ça a été un bienfait pour nous. Je suis un élu des Pyrénées, comme chacun sait, donc frontalier. Ça a été un bienfait pour nous. Ces pays se développeront. Et par exemple, que RENAULT ait fabriqué la LOGAN là-bas, ça a permis à RENAULT d’avoir la LOGAN, il ne l’aurait pas eue autrement. Et donc, d’une certaine manière, c’est plutôt un plus pour un certain nombre de nos entreprises. Il n’y a pas que des délocalisations horribles, et notamment quand elles se font dans l’espace européen. En revanche, il y a des délocalisations inquiétantes lorsqu’on se trouve devant la concurrence de la Chine et que la monnaie chinoise, comme je crois vous avez eu l’occasion de le dire aussi, se trouve tellement dévaluée par rapport à la monnaie européenne, qu’alors les coûts n’ont plus rien à voir. Et ceci est une question politique qui doit en effet entraîner un gouvernement économique de l’Europe. On a une monnaie commune, on devrait avoir une politique économique concertée et discutée entre nous. Et ceci est un point vraiment extrêmement important de l’avenir. En rester là ça ne serait pas bien.

Olivier MAZEROLLE

Je vous propose de passer au thème suivant qui concerne n’économie et l’emploi. Ce qui nous a frappés, quand on regarde vos programmes respectifs ou ce qu’était le programme de François BAYROU, c’est que vous-même, Ségolène ROYAL, à Villepinte, vous avez, après avoir parlé à ceux que vous aviez
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